Russie : BFMTV joue à nous faire peur
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Russie : BFMTV joue à nous faire peur

La propagande nucléaire comme booster d'audience

Tous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, cette semaine signé Paul Aveline, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !

Frisson garanti. Le 21 mars sur BFMTV, c'est l'événement : le vice-président de la Douma russe, Piotr Tolstoï (arrière-petit-fils de Léon), s'exprime pour la première fois sur une chaîne française depuis l'invasion de l'Ukraine par son pays, le 24 février 2022. Enfin, pour la première fois lors d'une interview enregistrée, il ne croit qu'au direct – on y reviendra.

Qu'a-t-il à dire à l'équipe de BFMTV dépêchée spécialement sur place, et qui a négocié "plusieurs semaines" pour obtenir cet entretien filmé tantôt près du Kremlin au bord de la Moskova ("C'est presque aussi romantique que nos relations Russie-France", juge le journaliste), tantôt dans un bureau ? Des "horreurs", explique le journaliste. Et des "horreurs", il y en a dans la dizaine de minutes que dure l'interview. Pourtant, la chaîne tente tout pour rattraper Tolstoï : "Pourquoi vous ne nous aimez plus ?" ; "C'est la réaction d'un amoureux déçu ?"

Las, point d'amour en face, Tolstoï se lance. Sur l'Ukraine d'abord, il promet à la France du sang et des larmes, "des cercueils à Orly couverts par le [drapeau] tricolore" si des soldats français venaient à intervenir au sol pour aider l'Ukraine. Frisson. Puis vient la question civilisationnelle : "Qu'est-ce qui est décadent chez nous ?", demande le journaliste. "Regardez votre gouvernement ! Est-ce qu'on peut vraiment… *rire gêné*… au 21e siècle penser que c'est pas décadent d'avoir des gens aussi spécials (sic) au gouvernement ?" On y vient, lentement mais sûrement. "Est-ce que vous faites référence au fait que notre Premier ministre Gabriel Attal est ouvertement homosexuel ?" "Oui, je fais référence au fait que la France est aujourd'hui gouvernée en partie par les pervers. Tout simplement." Frisson. "Qu'est-ce que vous aimiez chez nous que vous ne retrouvez plus ?" 

Retour de l'amour. Tolstoï explique qu'à cause des sanctions, il ne peut pas emmener ses enfants au Louvre ou visiter Paris. Vertige de la transition : "Oui parce que vous voulez plutôt envoyer une bombe nucléaire à Paris en ce moment, c'est plutôt ça le discours." "Bien sûr !" Et ça prendrait combien de temps, au fait, de vitrifier 10 millions de personnes ? "Deux minutes" selon la télé russe, explique le journaliste. "Un peu plus", répond Tolstoï, "bien sûr, on calcule".

Et la contradiction dans tout ça ? BFMTV, assure que c'est "son rôle" de contredire Tolstoï. Comme lorsqu'il explique doctement qu'envoyer des troupes françaises à Odessa, "une ville russe", déclencherait à coup sûr la troisième guerre mondiale. Odessa, "ville russe" ? Le journaliste tente une relance : "Historiquement, personne ne conteste la culture commune entre ces terres et la Russie…" Il est coupé : "C'est pas la culture commune, c'est le même peuple." Tolstoï hausse le ton : "L'Ukraine c'est mon pays ! Mon arrière-grand-père était le maire de Kiev ! C'est mon pays, et je veux pas que mon pays devient (sic) un pays nazi comme aujourd'hui. Et je veux pas que mon pays parle une autre langue ! […] L'Ukraine n'existera jamais dans les frontières qu'il y avait avant la guerre. Point. N'existera jamais." Nuance de taille qui n'est pas relevée.

Et Macron ? "On s'en fout de son opinion." Il énumère en comptant sur ses doigts : "On s'en fout de Macron, on s'en fout de ce qu'il dit Macron, on s'en fout des limites de Macron, et on va tuer tous les soldats français qui vont venir au sol ukrainien. Tous. […] Aujourd'hui, il y a 147 citoyens de la France qui ont été tués en Ukraine. Et on va tuer tout le monde. Vous inquiétez pas." L'entretien s'arrête. Sans relance. 

BFMTV l'a bien compris, il fallait capitaliser sur ces "horreurs". L'interview cartonne sur YouTube, les meilleurs passages sont déclinés sur les réseaux sociaux : les "cercueils à Orly", "On va tuer tuer tout le monde", l'homosexualité d'Attal, la troisième guerre mondiale, la bombe nucléaire sur Paris. Un tweet, une actu, une alerte info. La chaîne n'en est pas à son coup d'essai. Le 17 mars, Tolstoï était déjà sur BFMTV, en visio et en direct cette fois. Au menu : "chars français brûlés" en Ukraine, "cercueils à Orly" (déjà) et une volonté, "continuer jusqu'à la frontière polonaise". La même rengaine, mais sur Skype.

Ça méritait bien un aller-retour à Moscou pour vérifier que les rives de la Moskova étaient toujours aussi romantiques, que la flamme de l'amour était bien éteinte et que le propagandiste du Kremlin en était toujours un.

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